Fahrenheit 451

Publié le par Monsieur Guy

 

Fahrenheit 451 de Ray Bradbury


adaptation, mise en scène et son:  David Géry


avec Quentin Baillot, Lucrèce Carmignac, Simon Eine (sociétaire honoraire de la Comédie-Française), Gilles Kneusé, Alain Libolt, Clara Ponsot et Pierre Yvon

 

Au Théâtre de la Commune, jusqu'au 3 février
du 6 au 8 février 2013 au Volcan – Scène nationale du Havre / le 13 février 2013 au Théâtre Firmin Gémier – La Piscine de Châtenay-Malabry / du 19 au 23 février 2013 à la Scène nationale de Sénart / du 19 au 23 mars 2013 aux Célestins – Théâtre de Lyon / les 28 et 29 mars 2013 au Phénix – Scène nationale de Valenciennes / du 2 au 4 avril 2013 à l’Espace Malraux – Scène nationale de Chambéry et de la Savoie

 

 

fahrenheit.jpg"Le théâtre doit être ce que le théâtre n'est pas" disait le regretté Pasolini, comme une invitation à transgresser les acquis pour aller encore et toujours au plus près de la confrontation frictionnelle entre  l'imaginaire et le réel, là où naît la possibilité d'une pensée critique pour le spectateur.

 

"Fahrenheit 451" s'inscrit dans cette dynamique. Après le renoncement de Bartleby précédemment mis en scène à la Commune  et les hésitations de Caha  dans Cahin-Caha de Serge Valletti au Lucernaire, David Géry met en scène le passage à l'acte de Guy Montag, l'homme révolté, le  héros de  Fahrenheit 451.

 

C'est en 1953 que  Ray Bradbury écrivit Fahrenheit 451 alors que les braises du nazisme étaient encore chaudes et que les flammes du maccarthysme  embrasaient l'intelligentsia progressiste des Etats-Unis. Tout comme 1984 de Georges Orwell, Fahrenheit 451  souffrira  de son classement dans un genre, et plus encore de la résistance d'esprits peu enclins à déceler déjà dans leur présent les flammèches d'un possible brasier  à venir.

 

David Géry se démarque du parti pris de la mise en scène au cinéma de François Truffaut en préférant le présent teinté de surréalisme à la science fiction, rendant ainsi son interprétation de l'œuvre de Ray Bradbury moins manichéenne et beaucoup plus subtile. A noter que le théâtre, surtout à ce niveau, semble moins sensible et plus résistant aux conformismes de l'air du  temps que le cinéma.  Sur scène  tout est réglé au millimètre, tout fait sens. Des mobiles rectangulaires  blancs comme des pages, manipulés à vue par les comédiens, représentent l'appartement de Guy Montag, la caserne, la rue,  etc… Ces mêmes mobiles deviennent tour à tour des murs écrans de télévision ou des supports pour la projection  d'images aux forts accents symboliques proches du surréalisme. 


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                                                                                   © Philippe de la Croix


Guy Montag  (Quentin Baillot),  le pompier chargé de brûler les livres rencontre Clarisse (Lucrèce Carmignac) sa voisine qui lit dans son allure et sa présence une mélancolie inapte à sa fonction. La résistance de Clarisse à l'ordre établi,  procure vite à Montag une chaleur bien plus douce que celles des flammes destructrices des livres. Chaleur qui a déserté son foyer conjugal, où sa femme Mildred  (Clara Ponsot) entre deux prises de tranquillisants passe son temps devant "La famille", son émission de téléréalité préférée. Toute la force du texte de Ray Bradbury provient  d'un fin et subtil  tissage  entre la pensée de l'amour et l'amour de la pensée, et entre le "je commence à avoir peur" de Mildred et le "je commence à comprendre" de son mari, Montag.

 

Contrairement à l'interprétation de Truffaut où l'autorité avait une large place, c'est à la servitude volontaire que nous renvoie David Géry. A une société où les membres seraient invités à collaborer  à la création d'un monde au bonheur tranquille, confortable et où la pensée, source de contradictions et de mélancolie, serait abolie. La figure du fonctionnaire au service d'une société totalisante (ici le pompier) participe dans un même temps à créer des fonctionnants, pièces d'une mécanique lubrifiée par les bons sentiments gratifiants de la course au bonheur. Plus qu'une alliance entre  le bâton et la manipulation, c'est leur complémentarité qui nous est ici révélée. Nous rappelant   dans un même temps combien aujourd'hui les messages et injonctions de la société de consommation et les arguments de ses défenseurs  infiltrent sournoisement le terrain de la pensée humaine là  où le   politique, pour sa large part, semble botter en touche alors qu'hier encore  il avait cru dresser des murs infranchissables, à coup de plus jamais çà!

 

La dernière partie du spectacle est particulièrement émouvante et chargée de sens, lorsque Montag, après sa fuite, retrouve, dans une périphérie lointaine de la société de "consumation", Clarisse et ceux qui comme lui décident de devenir des hommes libres, des hommes livres.  Pour incarner ses hommes et ses femmes, David Géry invite à chaque représentation des acteurs du monde des livres et de la pensée; libraires, éditeurs, auteurs de fictions ou d'essais, scientifiques, qui s'extirpant de l'assemblée des spectateurs où ils avaient été conviés, se dirigent et montent sur scène avec leur livre préféré et  en lisent un passage.

 

Outre des comédiens tous formidables David Géry assisté à la mise en scène par  Florence Lhermitte a su s'entourer d'une belle équipe, du scénographe Jean Haas habitué des lieux,  au virtuose des effets spéciaux  pyrotechniques qu'est Jeff Yelnik,  en passant par la lumière de Dominique Fortin et la musique de Jean-Paul Dessy. Saluons la précision au millimètre que nécessitent, tout en jouant,  les déplacements par les comédiens des modules sur lesquels sont projetées les vidéos de  David Coignard.

 

Rejoignant le cri d'alarme de Pasolini dénonçant en son temps le nouveau fascisme de la société de consommation, l'heureuse alliance de l'auteur visionnaire  et du metteur en scène éclairé contribue à faire de ce spectacle un moment incontournable de cette saison théâtrale qui marquera pour longtemps ses spectateurs, et à n'en pas douter, feront à l'instar de Guy Montag un pas de plus vers la compréhension de notre monde. 

 

 

 

Publié dans Théâtre

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