L'Emission
L'Emission
Conception et mise en scène Johanny Bert
Texte Sabine Revillet
Interprètes Valérie Vivier et Laëtitia Le Mesle
Scénographie et objets Judith Dubois et Johanny Bert
C'est dans le cadre du festival MAR.T.O consacré aux arts de la marionnette et au théâtre d'objets que j'ai découvert "L'EMISSION", et cela a été pour moi une véritable révélation.
Petit par la forme mais grand par sa capacité à libérer du sens, le théâtre d'objets, quand il est comme ici maîtrisé, rejoint et voire surpasse certaines propositions théâtrales, pour devenir du grand art.
Réunis autour d'un plateau à peine plus grand qu'une table de cuisine, les spectateurs se retrouvent dans une communauté plus proche de la réunion amicale que de l'assemblée publique.
La réunion "tu perds-gagnes" peut commencer. La perte et le gain sont au centre de la proposition.
Gagner à être connu, c'est ce que propose l'émission de divertissement sur un petit écran de télévision situé derrière les deux comédiennes-manipulatrices: Valérie Vivier et Laëtitia Le Mesle. Le perdant se verra amputer d'un membre qu'il aura lui-même choisi, nous sommes en démocratie! Et puis sera-t-il vraiment perdant puisqu'il aura gagné à être connu? Tout va bien dans le pire des mondes!
Sur le plateau, deux espaces scéniques meublés et habités par des figurines de Playmobil manipulées par nos deux comédiennes. D'un côté, un homme regarde avec avidité l'Emission, tandis que sa femme s'affère à la cuisine en lui exprimant son aversion pour ce genre de programme. Rivé à son poste de télévision, l'homme est dans un même temps indifférent à sa femme et à la découverte par celle-ci d'étranges insectes dans un pot de yaourt. Insectes d'autant plus inquiétants qu'ils mutent en gros vers peu ragoûtants. Pour lui, le sensationnel est ailleurs.
De l'autre coté, un perdant, une jambe en moins, est confronté à l'admiration sans borne que lui voue un téléspectateur. Admiration qui se transforme en adoration fiévreuse pour se déplacer vers un appétit sexuel effréné. Appétit qui prendra ici tout son sens.
En assistant à des allers-retours entre ces deux scènes ponctuées par le son et l'image de l'écran de télévision, il nous est révélé entre autre comment la perte de sens participe à la perception d'un supposé sensationnel.
Grâce au bouleversement des codes de la représentation théâtrale qui n'hésite pas à aller vers des procédés quasi cinématographiques (plans larges sur les figurines, gros plans sur les comédiennes, etc…) la mise en scène de Johanny Bert crée une émulsion de sens d'où naît pour le spectateur des analogies pertinentes entre les espaces de jeux.
D'êtres qui se prêtent aux lois de la sélection médiatique dans leur recherche de reconnaissance, aux amputations des corps et de la pensée créant des sujets vides s'emplissant d'objets produits par l'industrie du divertissement, les sujets de réflexion sont ici riches et illimités. Est frappante, entre autres, l'analogie entre l'homme devant sa télévision et le perdant mutilé, qui tout deux clivés entre leur présence au monde et leur représentation médiatique acceptent et se font complices de leur transformation de sujet pensant en objet consommable.
Voilà un spectacle qui nous rend sensibles au monde dans lequel nous vivons, et qui est tout aussi éloquent que nombres d'essais sur la société de consommation. Il nous invite aussi à penser la forme et les multiples possibilités de la représentation théâtrale quand elle ose s'affranchir des limites et des codes plus ou moins imposés par l'industrie du spectacle qui ne se limite malheureusement pas à la seule télévision.
Et pour conclure avec Enzo Cormann: " Imaginons que l'idée de toucher avec un spectacle le plus grand public possible, sera un jour remplacée par celle de toucher le plus grand nombre de petits publics par le plus grand nombre de spectacles différents "
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