L'Eden Cinéma

Publié le par Monsieur Guy

 

L'Eden Cinéma de Marguerite Duras

 

 

Mise en scène de Jeanne Champagne

 

Avec: Sébastien Accart, Fabrice Benard, Agathe Molière, Tania Torrens, Sylvain Thirolle

 

Scénographie: Gérard Didier, Lumières: Franck Thevenon, Son: Bernard Vallery

 

Le théâtre n'est pas un produit manufacturé, un conglomérat de bonnes réponses, souvent dans l'air du temps, d'où l'on sort avec la confortable impression d'avoir compris. Il doit être le lieu du questionnement, du mystère, de la suspension.

 

Un bon spectacle se reconnaît par sa capacité à ne pas se terminer avec sa seule représentation. On sort du théâtre avec deux plaisirs: celui du spectateur ravi par ce moment passé, et celui de la promesse d'autres moments à venir. Ceux de la réflexion. C'est ce sentiment que j'ai éprouvé au sortir de "L'Eden Cinéma" mis en scène par Jeanne Champagne.

 

Connaissant peu l'œuvre de Marguerite Duras, mais ému par ce que je venais de voir, je partis en quête de savoir ce qui pouvait bien m'agiter ainsi.

 

Dans ces moments, plus ou moins longs, qui suivent un spectacle qui m'a bouleversé, me vient à l'esprit un mot ou une image qui, sans savoir trop pourquoi, s'impose à moi. Un mot ou une image qui dans un premier mouvement serait la quintessence de ce que je viens de ressentir le temps du spectacle, et dans un second, le point de départ d'une quête de sens.

 

Ce soir là ce fut l'image d'un marais salant qui s'imposa à moi, plus précisément celle de ces petits bassins rectangulaires où après évaporation, le sel se décante et s'accumule.

 

L'Eden Cinéma est une adaptation pour le théâtre par Marguerite Duras elle-même de son roman "Un barrage contre le Pacifique". Le récit romanesque y est condensé et transformé en un récit épique. Récit où Suzanne la fille, et Joseph son frère, nous content les déboires successifs de la mère depuis sa fuite du nord de la France où elle était institutrice, jusqu'à son arrivée dans le delta du Mékong dans les années trente, séduite par le discours colonialiste de l'époque. Institutrice le jour, pianiste le soir à l'Eden cinéma, elle achètera avec ses économies une concession qui deviendra vite un enfer. Telle la Mère Courage de Brecht elle fait front à l'adversité. Comme elle, prise dans l'action, le sens lui échappe.

 

Pour Suzanne, elle est: "Pleine d'amour. Mère de tous. Mère de tout. Criante, Hurlante, Dure, Terrible, Invivable."

Devenue invivable à force de vouloir vivre, voire survivre. En érigeant des digues contre le Pacifique, afin de préserver les terres cultivables du sel menaçant, elle ne sent pas un autre sel qui s'infiltre en elle, l'envahit jusqu'à en faire un être dur et monolithique. Les effets pervers de la colonisation auront sur elle le même effet que la vue de Sodome en feu sur la femme de Loth transformée en statue de sel.

 

Si dans un premier temps, on peut être déconcerté par un manque de dialogue, de réplique entre les personnages, on comprend vite que le dialogue est ailleurs. Marguerite Duras affectionnait les faits divers. Au-delà du fait par lui-même, elle s'intéressait aux récits et témoignages qu'en faisaient les différents acteurs. Dans "L'Eden Cinéma" le dialogue est entre la réalité et son récit. Les moyens et les formes d'interprétation de la supposée réalité, sont au regard de Marguerite Duras plus révélateur de la condition humaine, que le souci de vérité.

 

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La scénographie presque Fellinienne de Gérard Didier, les lumières de Franck Thevenon et le travail sur le son de Bernard Vallery, créent un univers onirique où la mise en scène et la direction d'acteurs de Jeanne Champagne s'épanouissent afin de nous faire entendre tous les enjeux d'une si belle écriture.

 

Agathe Molière dans le rôle de Suzanne, et Sylvain Accart dans celui de Joseph, le frère, sont excellents dans leur façon de nous restituer le drame sur le ton de l'innocence. Tania Torrens incarne le rôle de la mère imperturbable. Fabrice Bénard est un M. Jo "latino", non dépourvu d'humour. Sylvain Thirolle est le Caporal, serviteur fidèle à la Mère, prostré et silencieux, mais tellement présent.

 

J'ai découvert ce beau travail à l'Equinoxe, Scène Nationale de Châteauroux où Jeanne Champagne est artiste associée. Gageons qu'un bel avenir lui est promis. Je ne manquerai pas vous signaler sa reprise en d'autres lieux.

Publié dans Théâtre

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